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15 avril 2014 2 15 /04 /avril /2014 17:14
PRISON

Je rentre du Tarn et Garonne, où j'étais invitée à parler de mon bouquin "La Table du Pacha", sélectionné pour le prix de la nouvelle 2014.

Pourquoi le Tarn et Garonne ?

Parce que le fondateur de ce prix a choisi de le décerner à Lauzerte, merveille de village à trente minutes de Montauban. ça fait dix ans que ça dure et, sans être le Goncourt, c'est devenu, apparemment, une référence incontournable pour les nouvellistes qui se respectent. Est-ce que j'en serais ? Et alors, pas belle, ma vie ?

A deux pas de la sublime Place Nationale, à Montauban, la librairie où on m'attend s'appelle La Femme Renard. J'adore. Tout se passe incroyablement bien, les lecteurs sont là, on discute, on rit, je dédicace. Le lendemain soir, en route pour la médiathèque de Lauzerte. Les lecteurs sont là, je dédicace, on rit, on discute, bis repetita, ça me va. Aux autres aussi, apparemment, puisque je viens de recevoir des commentaires que ma modestie m'interdit de rapporter ici.

Par contre, la visite à la prison où j'étais conviée à rencontrer des détenus mérite d'être racontée.

Je précise que c'est une maison d'arrêt où les peines ne dépassent pas un an, pas de violeurs, pas d'assassins, que du tout venant : braquages, vols, escroqueries, arnaques , faux papiers, fausse monnaie, pas mal de castagne.

Déjà, rien que l'arrivée... Contrôles, fouilles, vérifications d'identité, escorte rapprochée des surveillants, pas de doute, je ne suis pas au Club Med. La broche en ferraille dans mon genou exaspère le portique qui se met à hurler, on me fait la grâce de me laisser entrer, sans déculottage pour exhibition de ma cicatrice. On avance dans des couloirs de plus en plus sombres. Tous les dix mètres on déverrouille une grille et un gardien téléphone : " Visiteuse corridor 8 ". Et on finit par arriver.

Ils sont douze, les bons apôtres, assis comme des gosses dans une salle de classe. Ils se lèvent quand j'entre, bien polis : Bonjour, Madame Tayon". Cinq ont mon livre à la main, dont un très jeune à l'œil très bleu. Je remarque un grand blond tout sourire, deux petits vieux tristes fixant leurs sandales, un costaud grisonnant, l'air bravache, chemise fleurie. A côté de l'éducatrice, un brun très pâle, la trentaine, tremble sur sa chaise et semble dormir.

Je demande qui a lu mon Pacha. L'œil très bleu dit très fort qu'il a beaucoup aimé, sauf l'histoire du mouton qui l'a fait pleurer, c'est trop triste, il a pas supporté. Je saurai plus tard que c'est un récidiviste qui hait les flics et vient d'en envoyer encore deux à l'hôpital. Tabasseur, certes, mais sensible, plein de pitié pour la souffrance des bêtes.

La conversation est lancée. On veut savoir pourquoi j'écris sur la Turquie, si c'est autobiographique. Le grand blond me demande si mon goût des voyages viendrait d'une enfance malheureuse : "Moi, toutes les conneries que j'ai faites, toutes les fois que j'ai foutu le camp, c'était à cause de mon père. Alors vous, Madame, c'était quoi ?" Je réponds que je suis partie par curiosité et il me dit qu'il va finir de me lire pour vérifier si ça se comprend.

La chemise à fleurs se lève. "Moi, Madame, je suis voleur, j'ai ça dans le sang, faut que je vole et des fois je cogne aussi, j'y peux rien. Mais vous aussi vous cognez quand vous écrivez, je me suis pris votre bouquin dans la gueule, c'est pour ça que j'ai tout lu. Peut-être aussi parce que je connais les ports, je travaillais sur des cargos avant de venir ici. Et permettez-moi de vous dire, y a un truc que vous avez pas raconté, c'est les boxons d'Istanbul. Je connais, moi, sans doute pas vous, dommage, c'est autre chose que vos bourgeoises turques, excusez !"

Je lis un passage. Un des petits vieux m'interrompt : " Vous êtes pas juive ? Parce que, moi, je suis d'une famille juive d'Izmir et quand j'ai lu le menu du pacha, j'ai tout reconnu et je peux vous dire que, oui, on mange tout ça en Turquie, mais c'est de la cuisine juive !"

Au bout d'une heure et demie, il a fallu se séparer, c'était terminé mais ils traînaient tous les pieds avant de retrouver leurs cellules. Et quand je lui ai serré la main, le trembleur qui m'avait paru dormir tout le temps, m'a dit à toute vitesse :"J'ai tout écouté. Je vais vous lire, ça m'a plu, vos manières. Mais d'abord, je vais finir Baudelaire, il me vide le cerveau."

J'ai retrouvé le soleil du dehors sans le sentir vraiment, je n'arrivais pas dans ma tête à sortir de la prison, je revoyais les visages, j'entendais les voix, j'avais peur d'oublier. Et me voilà rentrée chez moi, toute bizarre, ailleurs. Comme disent les Tontons Flingueurs : " On n'aurait jamais dû quitter Montauban !"

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Présentation

  • : Le blog de helene
  • : Après avoir vécu treize ans en Turquie, j'ai écrit en 2009 un roman ALARGA, traduit en turc et paru à Istanbul en novembre 2011 et un recueil de nouvelles LA TABLE DU PACHA qui vient de sortir en mars 2012. En général, on me dit que c'est vraiment dépaysant, très drôle, assez érotique... et personne ne croit que je suis française...
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